Au théâtre, les femmes encore hors scène?
Une metteuse en scène à la Cour d'honneur à Avignon, une autre nommée à la tête d'un théâtre national: malgré les efforts, les chiffres montrent toutefois une lente progression des femmes dans le théâtre français.
Julie Deliquet, qui a déjà monté des pièces pour la Comédie-Française et le théâtre de l'Odéon, va devenir la deuxième metteuse en scène en 77 ans à présenter un spectacle à la Cour d'honneur du Palais des papes, lieu emblématique du Festival d'Avignon qui ouvre mercredi.
Des chorégraphes femmes, dont la légendaire Pina Bausch, s'étaient emparées de la Cour, mais aucune metteuse en scène, hormis Ariane Mnouchkine.
"C'est fou, ça paraît tellement archaïque", affirme à l'AFP Julie Deliquet, 43 ans, également directrice du Théâtre Gérard-Philipe de Saint-Denis depuis 2020. "Il faut que ça devienne une évidence et que ça ne soit absolument plus un sujet".
"Mon genre ne détermine pas l'artiste que je suis mais il n'est pas très dominant. Donc, évidemment, c'est un symbole aujourd'hui, pour que ça ne le soit plus demain", ajoute-t-elle.
- 38% -
"Ce n'était pas un symbole cherché. Ce qu'on voulait, c'était de pouvoir proposer la Cour à Julie qui le mérite entièrement", commente auprès de l'AFP le nouveau patron d'Avignon, Tiago Rodrigues.
"Après, je pense qu'une conséquence positive serait de pouvoir contribuer à compenser le retard et une inégalité historique contre laquelle il faut continuer à se battre", poursuit-il.
En décembre, Caroline Guiela Nguyen a été nommée à la direction du Théâtre national de Strasbourg (TNS), l'un des cinq théâtres nationaux de France (avec la Comédie-Française, l'Odéon, la Colline et Chaillot).
Les directrices de Centres dramatiques nationaux sont également de plus en plus nombreuses, de Nice à Montpellier.
Et pour la saison 2023-2024, la plus illustre des scènes françaises, la Comédie-Française, programme de nombreuses metteuses en scène, de Lilo Baur à Silvia Costa.
Malgré ces notes positives, les chiffres restent en-deçà des attentes des acteurs du milieu.
Ainsi, la part des spectacles mis en scène par des femmes atteint 38%, selon une étude réalisée sur la saison 2020-2021 par le Syndeac (Syndicat des entreprises artistiques et culturelles).
Seuls les spectacles de marionnettes (49%) et jeune public (51%) atteignent la quasi-parité. Et côté autrices, elles représentent 33% contre 67% d'auteurs.
"Un des paramètres pour mesurer les inégalités est le nombre de metteuses en scène programmées surtout dans de grandes salles", explique à l'AFP Nicolas Dubourg, président du Syndeac.
"Certains disent: +Regardez, j'ai atteint la parité+. Mais, si vous regardez avec attention où sont programmées les femmes, cela va être dans les petites salles de 100 places, alors que les hommes vont l'être dans les salles de 600, 1.000 ou 1.500 places", regrette-t-il.
Pour le moment, l'étude, qui attend d'être actualisée avec la saison 2021-2022 notamment après les années Covid, montre un "frémissement mais qui n'est pas significatif".
"La progression est lente. (...) Ça fait des décennies qu'on parle de ce sujet-là et on en est toujours à constater avec désarroi qu'on n'a pas assez avancé", déplore M. Dubourg.
Selon les constatations du Syndeac, les blocages viennent des "moyens de production très inégalitaires".
"Si vous êtes une artiste femme, vous allez capter moins d'argent et donc vous aurez tendance à faire des mises en scène plus modestes, moins de scénographies et de comédiens. C'est un problème systémique", avance M. Dubourg.
Selon lui, il faut notamment faire progresser la mise en lumière des femmes au niveau local, pour rompre ce "cercle vicieux".
F.Coineagan --NG