En Transylvanie, la résurrection d'un village de Saxons
Faire renaître une civilisation en voie d'extinction: issue de la minorité allemande, la Roumaine Carmen Schuster est revenue de son exil à Berlin pour sortir de l'oubli la culture saxonne, espérant servir d'exemple.
"Il fallait sauver l'école qui était en ruine", raconte cette énergique sexagénaire qui, après une carrière dans le secteur bancaire, a racheté petit à petit à partir de 2010 le coeur historique du village médiéval de Cincsor, en Transylvanie, transformé en maison d'hôtes.
Sur la belle façade de l'ancien établissement, il est écrit "Volksschule", dans la langue de Goethe.
Dans cette région aux pieds des Carpates, se sont installés au XIIe siècle des Allemands, recrutés par les rois hongrois pour coloniser une terre inhabitée.
Avant la Seconde guerre mondiale, il y en avait encore jusqu'à 300.000 mais ils ne sont plus qu'environ 10.000 aujourd'hui, la plupart ayant émigré à partir des années 1970 pour fuir les persécutions du régime communiste de Nicolae Ceausescu.
- Sept paroissiens -
C'est le cas de la famille Schuster, partie en 1984 en laissant derrière elle une localité fantôme, partiellement repeuplée par des Roumains n'ayant aucun lien avec les 800 ans de l'histoire saxonne arrêtée brutalement.
"On a revitalisé d'autres bâtiments et le centre du bourg fonctionne à nouveau autour de son église" protestante transformée en centre culturel, se réjouit Mme Schuster. L'office y est donné de temps en temps pour les... sept paroissiens restants.
C'est la chapelle qui donne tout son cachet à l'ensemble, explique son mari Michael Lisske, un ancien professeur d'histoire intarissable sur le sujet.
"Les Hongrois avaient promis la liberté aux Saxons pour les faire venir et ils ne bénéficiaient donc d'aucune protection royale", relate-t-il dans l'église baignée par la lumière automnale des vitraux.
"Au XVe siècle, ils ont fortifié leurs églises pour qu'elles servent de refuge aux habitants en cas d'attaque, formant un ensemble architectural unique au monde" classé à l'Unesco.
- "Victoire tardive" -
Et prisé jusqu'à Londres: le roi Charles III qui aime rappeler ses liens de sang avec un célèbre prince transylvanien du XVe siècle connu sous le nom de Vlad Tepes ou l'Empaleur, possède également des propriétés dans les environs.
Un "héritage" que les communistes ont "tout fait pour effacer" alors que c'est "notre patrie", estime Carmen Schuster, pour qui "préserver ce patrimoine" est une "victoire tardive" sur "l'attitude inhumaine et méprisante" du régime.
La revanche ne se fait pas aux dépens des actuels 580 habitants de Cincsor, très pauvres et dont certains était sceptiques au début. Bien au contraire: selon la maire Rodica Marcu, le projet est "un plus", qui a "créé des emplois" et "lancé le tourisme".
Alors que les seules perspectives reposaient sur l'agriculture et l'élevage, la maison d'hôtes ouverte toute l'année est devenue le principal employeur de la commune et a offert du travail à une quinzaine d'habitants, dont Ramona Amariei.
"Il n'y a pas de discrimination", souligne la salariée rom, qui se dit "fière" de faire partie de cette "famille". Elle est femme de chambre, à la plonge ou serveuse l'été, mais aussi couturière en basse saison.
- "Faire école" -
Car l'entreprise conserve un savoir-faire local de confection de tapis, avec du linge de maison usagé, sur des métiers à tisser en bois.
Le concept séduit la clientèle et ce soir-là, un groupe d'Américains à la recherche de leurs racines remplit les lits, la bonne fréquentation permettant l'expansion du commerce: une tour de l'église fortifiée va être transformée en nouvelle chambre.
Dans ce pays en pleine croissance, Carmen Schuster "pense qu'elle n'est plus une exception, parce que tous les villages environnants regorgent d'initiatives de jeunes" pour revitaliser le tissu économique.
"Il pourrait s'agir d'une tendance naissante et je pense qu'on fait école", veut croire cette pionnière.
Une maison voisine a d'ailleurs été rénovée. Elle a été rachetée par un Roumain rentré de France après 57 ans et "tombé amoureux" d'une localité "revenue sur la carte".
A.Kenneally--NG