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En Iran, des enregistrements anciens redonnent vie à un patrimoine sonore oublié
Dans un immeuble centenaire dans le centre de Téhéran, Saïd Anvarinejad tourne le bouton d'une radio antique pour écouter de vieux enregistrements, les tout premiers réalisés en Iran et qui racontent les bouleversements ayant façonné l'histoire du pays.
Discours, pièces de théâtre, musique ou encore extraits radio et même bruits du quotidien, cet Iranien de 43 ans a passé des mois, avec une équipe de passionnés, à dénicher des pépites sonores dont certaines sont plus que centenaires.
Le son fait partie intégrante de leur environnement mais "on y prête peu attention", relève Saïd Anvarinejad, un féru d'audio à l'origine d'une exposition interactive mettant à l'honneur des tranches de vie, captées au fil des décennies par des microphones.
Dans une ambiance tamisée, elles plongent le visiteur dans un Iran révolu à travers des sons qui témoignent "d'une manière très forte et pure de ce que les gens ressentaient" à l'époque, déclare à l'AFP M. Anvarinejad.
Selon lui, les enregistrements les plus anciens conservés en Iran remontent à 1898 et 1899, durant le règne tumultueux de Mozaffareddine Chah sous la dynastie Kadjar (1779-1924).
Il fut marqué par la Révolution Constitutionnelle (1906), un moment clé dans la transformation politique de l'Iran qui imposa au souverain un Parlement pour mettre fin à son pouvoir despotique.
"A cette époque, un nouvel état d'esprit naissait chez les Iraniens, et d'importantes choses se produisaient politiquement, socialement et culturellement" dans le pays, relève Saïd Anvarinejad.
"Les premiers enregistrements sonores en Iran sont donc des témoignages d'une période très importante" pour le pays, d'après M. Anvarinejad.
Il s'agit d'une initiative privée portée par des passionnés ayant retrouvé ces enregistrements grâce à des chercheurs et leur objectif vise à les présenter au public à travers une exposition interactive.
Disques vinyles, combinés téléphoniques rétro ou encore manivelles qui déclenchent des enregistrements d'époque, les visiteurs se prennent au jeu et remontent le temps acoustiquement en manipulant les objets exposés.
L'expérience prend une tout autre dimension lorsqu'un boîtier métallique en mouvement met en sons, à la manière d'un gramophone, une représentation graphique d'ondes figurant sur un mur.
- "Armoire silencieuse" -
Des mélodies de l'époque Kadjar et du début de l'ère Pahlavi (1925-1979) sortent alors d'un haut-parleur, comme elles résonnaient autrefois dans les palais et autres rues animées d'Iran.
Pour Sarvin Faizian, visiter l'exposition avec des amis est une expérience émouvante "comme si je revivais le passé de mes parents", précise à l'AFP cet étudiant de 21 ans.
"C'est une bonne chose pour la jeune génération d'apprendre d'où vient l'héritage musical et artistique de l'Iran", déclare Kamran Assadi, un retraité de 63 ans qui se dit touché "intimement" par l'exposition.
Une radio antique en bois annonce d'une voix glaçante le renversement en 1953 de Mohammad Mossadegh, Premier ministre élu démocratiquement à l'origine de la nationalisation de l'industrie pétrolière iranienne jusque-là contrôlée par les Britanniques.
Sa décision avait conduit à un coup d'Etat orchestré par les Etats-Unis et le Royaume-Uni, dont de nombreux Iraniens se remémorent encore avec amertume.
"Ici Téhéran! (...) Le traître Mossadegh s'est enfui !", annonce à la radio un présentateur dans un enregistrement au son qui crépite.
A proximité se trouve un objet en bois baptisé "armoire silencieuse". Elle affiche une série de photos de la Première Guerre mondiale, mais sans aucun son.
"Il n'y a pas d'enregistrements sonores de cette période en Iran", explique Atabak Axon, un autre responsable de l'exposition.
"Probablement parce que le pays était alors dans une telle tourmente que ce n'était pas une priorité", subodore M. Axon, alors que l'Iran était occupé par les armées russe, britannique et ottomane.
Résultat, "il y a un silence de 12 ans qui reste un vide mystérieux dans l'histoire auditive" du pays.
L.Boyle--NG