Au Nigeria, l'Eldorado du lithium dans le Far West minier
Abdullahi Ibrahim Danjija burine assidûment la roche blanchâtre avant de fourrer dans un sac les blocs qui se détachent des parois de la mine à ciel ouvert.
En une journée de travail, il remplit trois sacs de 50 kg chacun, ce qui lui rapporte 150.000 nairas (100 dollars), soit deux fois le salaire mensuel minimum au Nigeria, pays le plus peuplé d'Afrique où plus de la moitié de la population vit sous le seuil de pauvreté.
Il y a trois ans, le mineur de 31 ans est descendu de Kano, au nord, attiré par les promesses de fortune liées au développement de l'industrie minière du lithium dans l'Etat de Nasarawa, dans le centre du pays.
Là, comme dans d'autres Etats du Nigeria, la perspective de participer à l'explosion de la demande mondiale de lithium, l'un des minerais critiques utilisé dans la fabrication des batteries électriques et des téléphones portables, attise les convoitises.
Selon l'Agence internationale de l'énergie (AIE), la demande mondiale de lithium sera multipliée par quarante d'ici 2040, une croissance impossible à assurer uniquement par les actuels principaux producteurs que sont l'Australie, la Chine et le Chili.
- Mines artisanales -
A Gidan Kwano, non loin de l'endroit où Abdullahi s'échine, un autre groupe de travailleurs refuse l'accès à leur mine à l'équipe de l'AFP. Ils sont plusieurs familles, femmes et enfants mis à contribution, à entailler le sous-sol avec des explosifs.
Bien qu'ils soient fiers des résultats de leur site d'extraction, ils n'ont pas de permis minier officiel et évitent de communiquer sur leur mine dans les médias, craignant que d'autres ne cherchent à s'en emparer.
Au Nigeria, les activités minières sont souvent illégales, au mieux artisanales. Même équipés d'un permis, les mineurs exploitent les sols sans respecter aucune règle de sécurité ou environnementale.
Le long de la route principale de la bourgade de Nasarawa, les maisons vides servant d'entrepôts se succèdent. Là, mineurs et intermédiaires effectuent un premier tri et nettoient la roche afin de préparer des morceaux concentrés en lithium pour leurs clients.
Matthew Danbala, l'un de ces vendeurs, martèle les cailloux un par un, accroupi au sol au milieu d'une dizaine d'enfants qui copient ses gestes.
"Nous sommes très heureux depuis qu'il y a le lithium ici, les femmes, les enfants n'ont qu'à aller dans la brousse, creuser sans rien avoir à dépenser, et ils reviennent ensuite en ville vendre", se félicite-t-il.
Au bout de la chaîne de cette économie informelle, les acheteurs sont "presque exclusivement des Chinois", selon un autre intermédiaire, Muhammed, 43 ans.
Cet ancien promoteur immobilier vend du lithium "depuis cinq ans" et reconnaît que "cela a beaucoup développé la région" et "créé des emplois pour tout le monde".
- Entreprises chinoises -
La Chine, premier raffineur et consommateur de lithium dans le monde, n'est que le second producteur et doit importer le minerai en quantité.
Le gouvernement nigérian veut attirer les investissements étrangers en promouvant son "nouveau pétrole".
Régulièrement, il déclare la guerre aux mineurs illégaux et procède à des vagues d'arrestations, sans parvenir à interrompre le flux des candidats à la richesse.
Le premier pays producteur de pétrole d'Afrique subsaharienne veut imposer aux investisseurs étrangers qu'ils installent en contrepartie des usines de transformation, une clause qui aurait dissuadé d'investir le milliardaire Elon Musk, patron de la marque de voitures électriques Tesla, selon des médias nigérians.
Un protocole d'accord a bien été signé fin 2024 entre Paris et Abuja pour mener des projets miniers, notamment concernant le lithium, mais pour l'heure les investissements étrangers se réduisent à des entreprises chinoises, comme Avatar et Ganfeng qui ont installé des usines locales où elles transforment la roche brute en oxyde de lithium avant de l'envoyer dans les usines chinoises.
"Les Chinois lancent les excavatrices avant même d'avoir des informations sur les sols" au mépris "des considérations environnementales", estime Uba Saidu Malami, Président de la Société géologique du Nigeria.
"Dès qu'il s'agit de minerais, ils se comportent comme des cow-boys", ajoute le géologue qui regrette "le manque de travail exploratoire" et de "données" disponibles sur les réserves nigérianes de lithium et en appelle "à une meilleure régulation du secteur".
- Conflits –
Outre les risques environnementaux, l'exploitation artisanale du lithium au Nigeria est génératrice de conflits, selon l'analyste Charles Asiegbu.
"Des communautés locales peuvent être en désaccord sur la localisation des ressources minières" ou elles peuvent "se sentir lésées par les entreprises étrangères et attaquer leurs salariés", estime-t-il.
Cela peut aussi donner lieu à "la création de groupes armés organisés qui prennent possession des ressources et les exploitent illégalement parce qu'il n'y a pas de présence gouvernementale dans ces zones".
A Gidan Kwano, Abdullahi Ibrahim Danjija continue de creuser, y compris pendant la saison des pluies où les risques d'éboulements sont fréquents et les accidents mortels fréquents.
Juste à côté, des éleveurs peuls font paître leurs vaches et brûlent quelques champs afin de préparer la terre pour la prochaine récolte, sans prêter attention aux détonations régulières qui dynamitent la roche alentour.
K.Cairstiona--NG