Déchets toxiques de la mafia: l'Italie condamnée par la CEDH
Après des décennies d'un énorme scandale sanitaire, l'Etat italien a été condamné jeudi par la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) pour son inaction face aux dépôts de déchets toxiques par la mafia près de Naples.
Les juges de Strasbourg ont reconnu la responsabilité de Rome face aux activités illégales d'enfouissement et d'incinération par la mafia de déchets dangereux ayant provoqué une recrudescence de cancers dans la population.
"L'Etat italien n'a pas répondu à la gravité de la situation avec la diligence et la célérité requises, bien qu'il ait eu connaissance du problème depuis de nombreuses années", écrit la Cour dans un communiqué.
La CEDH a ainsi jugé l'Italie en violation de l'article 2 de la Convention européenne des droits de l'homme, qui garantit "le droit à la vie".
A l'unanimité, les juges ont donné deux ans à l'Italie pour "élaborer une stratégie exhaustive afin de répondre à la situation, mettre en place un mécanisme de contrôle indépendant et une plate-forme d'information publique".
La décision réjouit Antonella Mascia, l'une des avocates des requérants.
"C'est un arrêt historique, très important, qui pousse à résoudre cet énorme problème", déclare-t-elle à l'AFP. "Nous espérons que les autorités comprendront que cette décision (...) est une exhortation des autorités internationales à changer les choses. Nous espérons donc que d'ici deux ans tous ces projets restés jusqu'ici sur papier seront mis en œuvre de manière efficace."
- "Terre des feux" -
Une zone comprise entre Naples et Caserte est surnommée "la terre des feux" en raison des nombreux sites illégaux où étaient brûlés à ciel ouvert des déchets industriels, souvent importés du nord de la péninsule.
Cette région, qui compte près de trois millions d'habitants, affronte depuis des décennies une pollution aux métaux lourds, dioxines et particules fines contaminant le sol, l'eau et l'air.
Encore aujourd'hui, des tas d'ordures s'empilent le long des routes et dans les champs contaminés, sur lesquels paissent pourtant encore paisiblement moutons, chèvres et brebis.
Parmi les victimes, Miriam, 18 ans, qui vit avec les séquelles de sa maladie (baisse d'audition...).
Le médulloblastome qui l'a frappé est une tumeur au cerveau qui frappe 1,5 enfant par million d'habitants, mais "à l'hôpital il y avait trois autres cas venant d'Acerra", leur ville qui ne compte que 60.000 habitants, souligne sa mère, Antonietta Moccia, 61 ans.
Aujourd'hui, elle attend l'"assainissement" du territoire et des dédommagements "pour aider d'autres familles" alors qu'elle-même jusqu'ici n'a "reçu aucune aide si ce n'est des parents et des amis".
- "De véritables monstres" -
L'un des requérants, Alessandro Cannavacciuolo, qui vient d'une famille de bergers, a raconté à l'AFP comment il a été alerté au début des années 2000 par la naissance d'"agneaux difformes, à deux têtes, avec deux langues, des queues sur le côté". "Nous n'avions plus des agneaux, mais de véritables monstres".
Lui aussi a perdu des parents et des amis, et la croisade de ce militant traquant et dénonçant les décharges illégales est éprouvante.
"Nous sommes en guerre, celui qui élève la voix, celui qui pointe le doigt sur ces activités criminelles fait aujourd'hui l'objet de menaces", note ce gaillard à la tignasse brune avant d'énumérer: "On a tiré sur nos voitures, on a tué nos animaux, on a reçu des lettres de menace..."
En 1997, le Parlement avait été informé par un repenti de la mafia de l'existence, au moins à partir de 1988, de l'enfouissement des déchets dangereux à grande échelle, mais ce n'est qu'en 2013 qu'il a adopté un décret-loi délimitant la "terre des feux".
Depuis, une kyrielle de commissions d'enquête parlementaires se sont succédé, confirmant la passivité voire la complicité de l'administration, l'absence de contre-mesures, et l'impact sur la santé des résidents avec notamment une augmentation des cas de cancers et de malformations fœtales et néonatales.
En 2018, la commission Hygiène et Santé du Sénat a estimé que l'activité de pollution criminelle et systématique générée, d'une part, par une chaîne de négligences, omissions et silences et, d'autre part, par l'absence totale de préparation à la prévention du phénomène de la part des autorités avait conduit à une véritable catastrophe écologique.
La corrélation entre la pollution et les cancers a quant à elle été reconnue en 2021 par l'Institut supérieur de la santé.
A.C.Netterville--NG