Nottingham Guardian - Pour les soldats ukrainiens revenus aveugles du front, la peur d'être un "fardeau"

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Pour les soldats ukrainiens revenus aveugles du front, la peur d'être un "fardeau"
Pour les soldats ukrainiens revenus aveugles du front, la peur d'être un "fardeau" / Photo: Tetiana DZHAFAROVA - AFP

Pour les soldats ukrainiens revenus aveugles du front, la peur d'être un "fardeau"

Les notes funk du tube des années 1970 "Le Freak" résonnent dans une salle d'un centre médical à Kiev, où Dmytro Gorodynsky, un grand gaillard au regard caché par des lunettes de soleil, esquisse quelques pas de danse hésitants.

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Il y a cinq mois, dans le chaos des combats de l'est de l'Ukraine, un drone russe a pris la vue à ce soldat de 39 ans. Il apprivoise désormais son handicap dans un institut spécialisé, le Trinity Hub.

Léger sourire, mais l'air appliqué, Dmytro Gorodynsky, qui porte un treillis, se plie aux exercices de danse conçus pour l'aider à s'orienter.

L'invasion russe déclenchée il y a trois ans a fait des dizaines de milliers de morts et près de 400.000 blessés parmi les militaires ukrainiens.

Une partie d'entre eux, comme Dmytro, sont désormais aveugles et doivent apprendre à s'orienter dans un espace public qui est loin d'être adapté aux handicapés.

Les premières semaines après sa blessure, Dmytro dit qu'il pouvait se perdre "même dans un espace carré" et être en proie à "de la panique".

Il lui fallait alors demander de l'aide pour "la moindre chose", raconte-t-il à l'AFP, ne cachant pas sa frustration.

A la suite d'un mouvement brusque, il fait tomber ses lunettes de soleil. S'il ne le réalise pas immédiatement et s'il n'est pas accompagné, elles sont "perdues", dit-il.

Mais après deux mois à fréquenter quotidiennement ce centre gratuit, où il apprend aussi à lire le braille et à utiliser son téléphone, Dmytro Gorodynsky note des progrès qui lui donnent "envie de continuer à vivre".

Il a aussi réalisé qu'il pourrait, chose rare, garder son travail. Vitrier avant la guerre, il s'occupera désormais de la réparation du verre.

Il arrive toujours que ses proches lui tendent leurs téléphones pour lui montrer une photo. Froissé au début, il se dit maintenant que cela signifie qu'"ils oublient que j'ai ce problème".

- "Les plus complexes" -

A l'autre bout du couloir, Mykola Kaziouk s'entraîne à se servir d'un ordinateur.

"Bouge la main droite !", lance le professeur, Oleksandre Gordiïko. Son élève de 48 ans peste en se trompant encore de touche.

Les anciens soldats sont les patients "les plus complexes", explique Oleksandre Gordiïko. Contrairement à ceux qui perdent la vue progressivement à cause d'une maladie, eux n'ont pas le temps de s'y préparer.

Réapprendre à se faire un café ou à monter dans un bus a été frustrant pour Mykola Kaziouk. "Mais il le faut, pour ne pas devenir un légume".

L'ex-militaire a été défiguré et blessé aux jambes sur le front en avril 2024. A son réveil, après un mois de coma, il comprend qu'il est aveugle.

Sa canne blanche à la main, Mykola Kaziouk a d'abord pensé qu'il serait abandonné : "Qui voudrait un fardeau comme moi ?"

Mais, peu à peu, avec le soutien de sa femme, il retrouve une autonomie.

Et dit non sans fierté pouvoir cuisiner des cupcakes et recoudre des boutons.

- Voir la victoire -

Il n'existe pas de statistiques officielles sur le nombre des anciens militaires non-voyants en Ukraine.

Mais la guerre a entraîné une "hausse inquiétante" des troubles de la vision sur l'ensemble de la population, a alerté l'ONU fin 2023.

Et le système médical national ne permet pas de les traiter correctement, relève Olessia Perepetchenko, dont l'ONG Modern View aide les ex-soldats atteints de cécité.

Il arrive qu'à l'hôpital personne ne leur apprenne à se servir des toilettes, regrette-t-elle.

Une autre organisation, Let's see the victory, a été fondée par Vladyslav Iechtchenko. Ancien sapeur dans l'armée, cet homme de 26 ans au visage constellé de cicatrices a perdu ses deux yeux en déminant près de Bakhmout (est) il y a deux ans et demi.

Dans son salon décoré d'un poster Playboy en braille, il explique que le plus dur a été d'accepter que ses yeux "n'étaient plus là", sans espoir de guérison future.

Il lui a ensuite fallu se faire à l'idée qu'il ne serait plus d'"aucune utilité" sur le front.

Après une période de crises de colère et de nuits blanches, c'est, dit-il, son travail avec les anciens soldats qui l'a aidé à se sentir de nouveau utile.

Selon lui, l'Ukraine n'est pas "prête" à accueillir les nouveaux aveugles. Il faut des travaux d'accessibilité mais aussi une sensibilisation des civils, qui préfèrent généralement penser que ce problème ne les "concerne pas", regrette Vladyslav Iechtchenko.

Alors parfois, il les titille un peu. Comme récemment, quand ses voisins se plaignaient de ne rien voir à cause des coupures de courant, fréquentes en Ukraine en raison des frappes russes.

Goguenard, il raconte leur avoir lancé : "Alors, comment ça va les nuls ?"

T.M.Kelly--NG